Crocheter une serrure pour l'amour du ciel

Je suis arrivée à Paris il y a un peu plus de 10 ans pour mes études. A l'époque je logeais dans un foyer pour étudiants et jeunes travailleurs non loin de la gare Saint Lazare. Ma chambre biscornue de 9 mètres carrés située au 3ème étage sur cours, offrait une vue imprenable sur un gros tuyaux gris d'évacuation. On ne va pas détailler les communs, mais je voudrais m'attarder sur la bibliothèque où j'aimais passer du temps tard le soir, et qui est le point de départ d'une découverte à l'origine de cette histoire. 

Une nuit donc, piquée d'ennui et de curiosité, je m'en vais fouiller le placard des archives de la bibliothèque du foyer. Parmi d'innombrables piles de documents administratifs inintéressants, je découvre un trésor : les plans détaillés du bâtiment et d'anciennes photos des lieux où j'habite. On dirait les années folles, il y a presque 100 ans ! Cette photo retiendra tout particulièrement mon attention…

Un toit-terrasse ! Bien plat et entouré de balustrades avec une vue exceptionnelle sur la butte Montmartre. Les plans indiquent un escaliers que je ne connais pas situé au 6ème et dernier étage. Evidemment, la porte aux étoiles est fermée à clefs. Voilà donc un mystère bien plus intéressant que la macroéconomie ou l'histoire des institutions politiques. 

Les jours et nuits qui ont suivi cette incroyable découverte ont été entièrement dédiés à ma nouvelle lubie de cambrioleur-rêveur : l'ouverture fine. 

Ma première tentative consista à faire sauter le verrou en faisant passer une feuille souple de type radiographie dans l'interstice de la porte. C'est finalement en sacrifiant ma carte de fidélité Sephora que je parvins à ouvrir le loquet ! Repérage des lieux et confirmation : il y a bien là un grand rooftop avec une vue panoramique sur les toits de Paris ! Hélas, cette méthode (le By-pass ou contournement) ne permettait pas de refermer la porte après exploration. Ce ne fut qu'une question de temps avant que le gardien ne s'aperçoive de l'irrégularité et verrouille la porte à double tours cette fois-ci. 

A ce stade, j'avais déjà trop pris goût à ce salon estival. Il fallait trouver une solution pour prendre la clé du ciel. En continuant mes pérégrinations, je comprends qu'il va me falloir du matériel. Une bumpkey et un tournevis ? Un pistolet de crochetage peut-être ou une clé passe partout ? Mais rappelez-vous, je suis étudiante et j'habite dans 9m2, hors de question de dépenser un kopeck dans cette affaire. J'opte donc pour la solution technique : le crochetage, convaincue que je pourrais improviser avec un trombone comme les Dalton dans Lucky Luke.

Une analyse du terrain de jeu aka le couloir du 6ème étage me permet de déporter mon objectif principal non pas sur la porte elle-même, mais sur le boitier de sécurité en cas d'incendie. Je vous laisse - chers internautes - le soin d'admirer une reproduction :

Vous l'aurez deviné, il y a fort à parier que la clé qui se trouve derrière la vitre à briser ouvre ma porte vers le 7ème ciel. La bonne nouvelle c'est qu'à travers mes lectures je comprends que cette nouvelle cible est bien plus accessible que la vielle serrure de la porte. On dirait un cylindre type boite aux lettres qui ne doit être composé que de 3 ou 4 éléments à aligner pour pivoter. Autrement dit, une serrure à paillettes, beaucoup moins complexe qu'une serrure de porte !

En théorie, il faut 2 outils : l'un pour aligner les goupilles, l'autre pour exercer la douce tension qui permet la rotation du mécanisme.

En pratique, c'est armée de mes meilleurs épingles à chignons que j'ai occupé toutes mes nuits pendant 1 mois (au péril de mes partiels) à gratter/caresser/palper/piquer la serrure du boitier rouge. Tantôt en tordant mes pinces, tantôt en regardant des tutos YouTube. Jusqu'au soir de délivrance où… clac, le mécanisme tourne enfin et libère la clé ! Bingo, elle ouvre bien la porte des escaliers du paradis. 

N'allez pas croire que je prends les dispositifs d'urgence en cas d'incendie à la légère. Il n'aura fallu que quelques minutes au cordonnier du bas de la rue pour reproduire ma clé tant désirée. Pour moins de 5 euros, j'avais désormais mon propre exemplaire et l'original pouvait retourner au chaud dans son boitier d'urgence incendie. La sureté ça n'a pas de prix !

Pour finir, et avec le recul j'alerte sur le fait que cette démarche était parfaitement illégale et dangereuse. Je tiens tout particulièrement à souligner le cheminement pédagogique de cette affaire qui m'a permis de comprendre en profondeur les différents mécanismes de serrure et les techniques pour les ouvrir. J'ai par la suite participé à un atelier de l'Association des Crocheteurs de France (ACS), et pu m'exercer dans un cadre légal sur des serrures à différents niveaux de difficulté.

Je découvrirai bien plus tard que l'art du crochetage peut-être utile pour mener à bien une mission d'intrusion interne (légale et commandité). Le but est de tester les mécanismes de sécurité physiques et informatiques d'un lieu, on parle aussi de Red Team.

Aujourd'hui, j'ai pu m'offrir un vrai kit de crochetage avec des cadenas d'entrainement et je vois le ciel depuis mes fenêtres.

💡 Le saviez vous ?

L'histoire des serrures est étroitement liée à celle des malles de luxe. Il s'agissait de protéger les précieux biens personnels d'une clientèle fortunée. En 1890, le malletier Louis Vuitton sort la serrure en "V" , première serrure avec un système à gorge réputée "incrochetable".